Un navigateur en solitaire, aussi doué soit-il, ne serait rien sans une équipe à ses côtés. Interview avec Marcus Hutchinson, figure emblématique du monde de la voile et homme-clé de l’équipe TR Racing, qui revient sur son parcours et son choix d’une carrière de manager sportif.

Né en Irlande voici 59 ans, Marcus Hutchinson incarne la voile de compétition dans toutes ses exceptions. Le bonhomme a, depuis ses premiers bords d’instructeur de voile dès l’âge de 14 ans, bourlingué dans tous les recoins de la planète voile. Coupe de l’America (America's Cup), Olympisme, Volvo Ocean Race, Classe IMOCA…
Marcus a pris sa part dans tous les grands projets sportifs et nautiques des dernières décennies. Homme de projet, homme de management, il a su perpétuellement rebondir dans un milieu reconnu pour son caractère éphémère. Sa rigueur, son regard avisé d’expert de la navigation et des différentes caractéristiques des bateaux, ont très vite imposé son nom à l’esprit des grands initiateurs des plus ambitieux projets de régates, de courses au large ou de constructions de voiliers.
Aux côtés de Thomas Ruyant depuis 2019, il est l’homme charnière, l’homme de l’ombre de l’équipe TR Racing, qui absorbe et règle les milles détails et un problèmes d’une équipe nautique où la gestion sportive le confronte aux défis techniques.

Marcus Hutchinson, quel est votre parcours sportif et professionnel ?
« J’ai débuté la voile à l’âge de 8 ans. Mon père était pilote de ligne et nous habitions près de Dublin. La mer était là et je me suis vite pris au jeu. À 14 ans, j’étais instructeur de voile et absolument passionné par les bateaux et les régates. De fait, je me suis naturellement tourné vers l’architecture navale, et suis entré à la célèbre école de Southampton. Après une première expérience professionnelle chez Rob Humphries Yacht Design, on m’a proposé de prendre la direction de la rédaction du grand magazine nautique, le Sea Horse. J’y suis resté 4 ans, tout en continuant à naviguer comme équipier sur d’importants projets dont notamment Rothmans de Lawrie Smith.

Ensuite, je suis parti en France, pour prendre la rédaction en chef d’un nouveau magazine basé à Antibes, mais qui n’a pas fait de vieux os. J’ai pu, à cette occasion, rencontrer Bruno Troublé, le « pape » français de la coupe de l’America's Cup. Il m’a proposé de devenir son assistant, avec un rôle de responsable de la communication de la Coupe Louis Vuitton, la phase éliminatoire de la Coupe de l’America. C’est ainsi que j’ai signé un long bail avec la Coupe. J’en ai suivi 5, deux aux USA, deux en Nouvelle Zélande et une à Valence, toujours côté organisation, et communication. J’ai aussi eu la chance de travailler sur les Jeux Olympiques d’Atlanta. Je suis parvenu à continuer à naviguer à haut niveau, Mumm 36 et Figaro.

Ce milieu est très fragile, les projets vont et viennent à des rythmes très courts. Pour ma part, j’ai enchainé les projets, un projet en appelant un autre. Knut Frostad, Paul Meilhat, Med Cup ou Artemis Academy… les années ont filé très vite, jusqu’à ce que je reçoive un coup de fil de Thomas Ruyant en 2019.

Pourquoi avoir choisi le côté management plutôt qu’une carrière personnelle de coureur ?
Le choix de m’engager côté management de la course s’est imposé tout naturellement, car je n’avais tout simplement pas le niveau pour prétendre à une carrière de coureur professionnel. Je suis heureux d’avoir pu côtoyer le haut niveau de la voile, mais je n’avais pas le talent pour mener un projet sportif en mon nom. J’ai eu beaucoup d’opportunités pour intégrer des équipages, et j’ai fait le choix des coulisses, de la partie gestion et management.

Tous les 4 ans, ma vie a changé, au gré des opportunités qui se sont présentées, et que j’ai saisies. Je ne suis expert en rien, mais connaisseur de tout, un peu ingénieur, un peu directeur, un peu coureur. Après chaque cycle, chaque projet, les paramètres évoluent…

En quoi consiste votre rôle au sein de TR Racing ?
Le job de directeur d’une écurie de course consiste à gérer une équipe sportive. Il s’agit de Ressources Humaines, de budgets à tenir, de programmer et veiller aux tâches de chacun. C’est aussi un rôle très institutionnel avec de nombreux partenaires à encadrer et servir, des organisations de course, des classes. Mais en course au large, il faut aussi savoir tout faire, piloter un semi-rigide ou conduire un camion. Aucun jour ne se ressemble. Un jour en costume cravate, le lendemain en bleu de travail. C’est une mission très riche en expériences et en relations humaines.

Comment avez-vous rencontré Thomas Ruyant ?
La première fois que j’ai croisé Thomas, c’était en Figaro. Il était très jeune. Je travaillé pour Artemis Racing. On a partagé un semi-rigide lors d’une session d’entrainement avec Tanguy Leglatin. On s’est revu quelques années après, au Brésil, à Salvador de Bahia au terme de la Transat Jacques Vabre 2017. Je travaillais pour SMA et Paul Meilhat. Thomas et moi avons beaucoup échangé, partagé des idées… Un peu plus tard, il m’a demandé de rejoindre son projet de construction d’un prototype pour le Vendée Globe.

Quelles sont les particularités de TR Racing ?
Toute l’équipe de TR Racing est à l’image de Thomas. Il s’agit véritablement d’une start-up, avec Thomas comme leader, Laurent Bourguès pour la partie technique et moi-même au management. Tout le projet repose sur le magnétisme de Thomas. C’est lui qui fédère, qui fidélise partenaires et collaborateurs. On travaille dans une ambiance de jeune pousse, décontractée et terriblement motivée. Chacun se dépasse dans son domaine de compétence.

Thomas est la dynamo qui instille sa passion et ses convictions. C’est très motivant. On est entouré de gens aux profils et aux parcours très différents, tous super motivés et c’est exaltant. Je n’ai jamais connu une telle ambiance, une telle complémentarité, une telle envie d’évoluer en permanence et de s’élever mutuellement. C’est une véritable équipe.

Qu’est-ce qui vous fait le plus vibrer dans votre profession ?
Le ciment de tout cela, c’est la compétition. On monte des projets fous ! Faire un Vendée Globe, c’est une aventure, une entreprise de dingue(s) ! On se bat tous pour un objectif, faire gagner Thomas. On est dans l’anticipation permanente, pour gommer à l’avance les problèmes. Il faut aussi être un peu visionnaire, pour inventer notre futur, et ce dans tous les domaines, techniques, humains et sportifs.

Qu’en est-il de l’internationalisation de la course au large ?
La question de l’internationalisation de la voile revient en permanence. Il faut bien comprendre que la voile française fonctionne depuis longtemps sur un modèle unique, et difficilement exportable. Il s’agit d’une certaine culture du sponsoring de PME, avec un fort soutien des collectivités locales ; cet éco système est bien rôdé. Le reste du monde vient par curiosité. Mais pour réussir, il faut vraiment s’installer en France et y vivre, à l’instar de Sam Davies par exemple.

Comment vivez-vous le Vendée Globe de Thomas ?
Le Vendée Globe est terriblement stressant. On vit l’aventure à 200 %. On observe et on étudie la météo, les trajectoires, les temps de course… On craint aussi la casse, les avaries. De mon point de vue de manager, il y a aussi le stress de rater de belles opportunités de contacts et de communication qu’offre le Vendée Globe.

C’est durant la course que l’émotion et l’intérêt des spectateurs et des entreprises sont au maximum. C’est maintenant que l’on prépare l’avenir, que l’on noue les nouveaux contacts. Il faut savoir être opportuniste pour profiter de la charge émotionnelle du Vendée Globe.

Photos article : © Pierre Bouras