Alors que les marchés financiers continuent de vivre au rythme de la guerre en Ukraine et du Covid, la volatilité reste de mise, sur fond d'inflation et de tensions sur les taux d'intérêt. Christian Bito, professeur de finance à l'ESSEC et vice-président de Swiss Life Gestion Privée, analyse la situation macro-économique et nous livre ses nouvelles perspectives à l'aune des derniers événements.

Ce mois de mai a été très volatil dans un environnement de tension sur les taux d’intérêt. Depuis le début de l’année, les taux sur les obligations ont augmenté de plus de 1,5 %. La valeur de tous les actifs financiers, actions, obligations a subi d’importantes dépréciations liées au surenchérissement du cout de l’argent,
comparable au crack de 1994 qui s’était aussi accompagné d’une forte baisse de l’immobilier.

L’inflation : début de la fin ?

Les investisseurs s’interrogent sur la poursuite de ce mouvement causé par la résurgence de l’inflation à des niveaux plus vus depuis les années 1980.  La Banque centrale européenne (BCE) nous promet de futures hausses de ses taux directeurs encore à 0 % pour rejoindre l’action débutée par la Réserve fédérale américaine (déjà + 0,75 %).

Les causes de ces hausses de prix sont principalement le conflit en Ukraine et la résurgence du Covid. L’envolée des cours des matières premières et agricoles, des prix des produits semi-finis en provenance de l’Asie se reflètent dans les indices d’inflation : + 8,3 % aux Etats-Unis sur un an. Mais les premiers signes d’inflexion rassurent puisqu’en mars elle culminait à + 8,5 %. Si la hausse des salaires auxquelles les banques centrales sont attentives ne déborde pas, si les mesures de confinement s’estompent et l’Ukraine trouve une issue nous constaterons une décrue à confirmer d’ici quelques mois.

Croissance économique : en berne, sous les chocs

Mais, la deuxième tendance qui a troublé les marchés est la rapide décrue de la croissance de l’activité économique. La conjonction de taux élevés, une baisse du pouvoir d’achat conséquence immédiate de la flambée des prix, des pénuries liées aux sanctions à l’égard de la Russie et celles en provenance de Chine
font craindre une entrée en récession. Déjà, le PIB américain au premier trimestre ressort à - 0,4 %, la production industrielle chute à - 2,9 % en Chine et les perspectives s’assombrissent comme en témoigne l’indice de confiance des consommateurs américains. Des premiers secteurs d’activité commencent à être
touchés : l’immobilier et la construction aux Etats-Unis.

Les conditions de crédit, principalement à taux variables outre-Atlantique, se durcissent. Après la baisse des démarrages de chantiers, les ventes de logements existants poursuivent leur recul (- 2,4 % en glissement mensuel en avril). La grande distribution va aussi subir l’attrition de ses marges ; aux Etats-Unis, les géants américains Target et Walmart ajustent leurs prévisions compte tenu du double effet de la hausse des couts des intrants et de la baisse de la consommation… Et sont sanctionnés en bourse de - 25 et - 15 %.  Cette baisse de la demande peut néanmoins être considérée comme positive pour les marchés car elle diminue la pression sur les prix et permettra peut-être l’inflexion du discours et des décisions des Banques Centrales.

Ces dernières n’en sont qu’au début de leur resserrement des conditions monétaires, la BCE ne commencera à relever ses taux qu’en juillet. En cas de forte chute de l’activité elles pourraient moduler, voire interrompre cette escalade qui avait été fatale à l’activité et aux marchés en 1994, 2001 ou 2007.

Et après… de nouveaux défis pour l’avenir

Souhaitons que l’Ukraine et le Covid trouvent des issues dans les mois à venir. Toutefois, ces crises vont modifier durablement l’économie. Les pays occidentaux veulent relocaliser afin de réduire leurs dépendances. Ce process sera long et couteux et installerait l’inflation comme durant les années 1970. Mais le protectionnisme va-t-il vraiment s’imposer quand les tensions s’atténueront au détriment du commerce international, du libre-échange, de la coopération et la concurrence mondiale des prix ? 

Les entreprises et les pays devront aussi financer la décarbonisation et la transition énergétique. Les coûts et besoins de capitaux sont colossaux pour atteindre les objectifs de la conférence de Paris et risquent de peser encore sur l’inflation. Mais face à de tels enjeux qui s’étaleront dans le temps, les Etats et surtout les banques centrales ne devront-elles pas subventionner ces actions comme ils l’ont opéré pour la crise du Covid ?

Enfin, l’isolement de la Russie, de la Chine ont fait remonter les craintes de conflit et les pays pensent à nouveau à s’armer. L’Allemagne va investir 100 milliards d’euros, la Finlande abandonne sa neutralité, et d’autres pays vont suivre. Cette escalade est coûteuse, peu productive comme l’expliquait l'économiste John Maynard Keynes et donc pèse aussi sur l’inflation. Sur cette dernière menace pour les équilibres économiques, il faut là aussi que les tensions actuelles s’apaisent afin d’anticiper des tendances futures plus raisonnables et plus positives.

Achevé de rédiger le 1er juin 2022.